Récemment introduite au Hall of Fame de l’Academy of Interactive Arts & Sciences, la présidente de 343 Industries Bonnie Ross a été interviewée par US Gamer. Outre sa longue carrière de productrice, Ross parle des épreuves du développement des jeux Halo, et notamment des raisons du délai de Halo Infinite.
Halo.fr vous propose une traduction intégrale de cette interview.
Vous travaillez pour Microsoft depuis le début des années 90. Quel genre d ‘expériences avez-vous eu depuis toutes ces années ? Les changements de l’industrie, par exemple.
J’ai été engagée à la sortie de l’université pour travailler sur l’aspect technique des systèmes d’exploitation. J’ai rejoint Microsoft pour la technologie, mais au bout de quelques années je n’avais plus d’occasion de parler de mon travail à ma famille, parce que le concept de système d’exploitation était méconnu. Puis Microsoft ont décidé de se lancer dans les jeux de sport. Je faisais partie d’une équipe de basket féminin, et j’étais la plus qualifiée pour un rôle de productrice dans ce nouveau groupe centré sur le sport. Donc j’ai commencé par un jeu de basket, et c’est ce qui a tout déclenché. Je n’avais pas prévu de rester parce que je ne pensais pas qu’il y aurait une carrière à y faire. Mais après ma première année, j’ai compris que le jeu vidéo, c’est utiliser la technologie pour sublimer l’art. C’est le moment où tout s’est assemblé dans mon esprit, où j’ai compris ce que je cherchais dans la technologie. Ça a été mon moment « Eurêka ! »
343 est connu pour être le développeur de Halo. Quel genre d’expérience c’était de construire un studio avec une licence déjà existante ?
Quand nous avons pris le relais, j’ai observé la situation comme une start-up reprenant une grande franchise. Ce sont deux concepts très intéressants et complexes à faire fonctionner ensemble, parce qu’il fallait continuer à faire du Halo, mais il fallait dans le même temps construire toute une équipe. Pour Halo 4, nous sommes partis de zéro et nous avons engagé des gens de plus de 55 entreprises différentes, issus de l’industrie du jeu vidéo et de celle du cinéma grand public. Réussir à rassembler tous ces gens qui n’avaient jamais travaillé ensemble sur un jeu d’une licence dont ils sont fans, en plus sur un moteur qui leur était complètement inconnu, c’était très difficile. Mais ça a aussi permis aux équipes de se souder rapidement, parce qu’on ne pouvait pas se résoudre à faire moins que le meilleur pour cette licence. Reprendre le contrôle d’une licence est un vrai défi. Mais je suis fière de ce que nous avons tous accompli.
Halo est une des rares licences de jeu vidéo qui va au-delà des jeux, grâce aux livres, au projet de série télé et maintenant aux événements Halo Outpost cet été. Comment avez-vous accompagné Halo au-delà des jeux vidéo ?
Quand le premier Halo est sorti, je travaillais sur Zoo Tycoon et Fusion Frenzy. Eric Nylund a écrit La Chute de Reach parce que Microsoft craignait que Halo ne résonne pas suffisamment en tant qu’univers de science-fiction si il n’existait que sous forme de FPS. J’ai d’abord lu le livre, qui parle des origines du Major : 75 enfants de six ans enlevés pour devenir des Spartans. La franchise a toujours été transmédia pour moi, d’autant plus que j’ai lu le livre avant de jouer au jeu.
En lançant 343, c’était important pour moi d’enrichir ce monde. Je pense que l’univers de Halo vaut la peine qu’on s’y investisse, qu’on y raconte beaucoup d’histoires. Dès le départ, principalement avec Frank O’Connor qui nous a rejoint de Bungie, nous avons créé un canevas d’histoires différentes, pour connecter des histoires séparées et établir un contexte global dans lequel raconter des histoires à travers des livres, des séries, des films, des animations, et maintenant Halo Outpost Discovery.
Pouvez-vous en dire plus sur Halo Outpost ? C’est assez unique de baser tous ces événements sur la rencontre entre Halo et le public. Comment est apparu cette idée ?
Nous avons reçu plusieurs propositions pour créer des attractions Halo ces 10 dernières années, une d’elle voulait créer une montagne russe Major. À l’E3 d’il y a trois ou quatre ans [NdT : quatre ans, en 2015, testé par Halo.fr], nous avons tenu une expérience HoloLens pour Halo 5. Puis nous avons publié une expérience VR, une petite démo sur Microsoft Store. Ces deux expériences ont montré que la VR fonctionne très bien pour des événements locaux, en permettant aux gens de se rassembler et de découvrir cet univers d’une nouvelle manière. C’est ce qui nous a inspiré. Puis une entreprise nous a approché et nous avons travaillé ensemble pour trouver une idée qui nous plaise, ce qui a donné Halo Outpost Discovery.
Un des grands sujets dans l’industrie cette année est le crunch [NdT : heures supplémentaires] et autres problématiques des conditions de travail au sein des studios. Que fait 343 pour combattre le crunch et les pratiques de travail néfastes ?
Avec Halo 4, étant une équipe toute nouvelle qui n’avait jamais travaillé avec le moteur de Halo, les équipes ont été soumises à un crunch assez horrible. Naturellement, les développeurs ont fait savoir que ce n’était pas acceptable. Une des raisons est que le moteur de Halo est très technique, ce qui rend plus difficile pour les artistes et les designers d’intégrer du contenu au jeu. Nous avons promis aux équipes de régler ce problème pour Halo 5. Nous avons beaucoup travaillé sur le moteur pour changer ça et promis que ce travail donnerait des outils et un processus de production qui serait plus efficace et réduirait le crunch.
Mais ça n’a pas réussi. Halo 5 s’est révélé plus expansif que nous l’avions prévu et le temps a manqué. Quand nous avons publié le jeu, l’équipe était en crise. « Crise » n’est peut-être pas le meilleur mot, mais l’humeur au sein de l’équipe disait « Vous avez fait une promesse, nous ne voulons pas faire de crunch. » Ils ont raison.
C’est pour ça que nous prenons plus de temps, que nous dépassons les trois ans habituels entre deux jeux Halo, pour investir dans le moteur et les outils et le processus, nous travaillons activement là-dessus. Ce que nous avons présenté à l’E3 l’année dernière montre que nous essayons de créer un environnement pour créer un jeu plus efficacement, plus rapidement, et pour empêcher le crunch. Je pense qu’on ne peut pas l’éliminer totalement, qu’il y aura toujours des heures à mettre en plus. Mais elles doivent être délibérées par respect pour l’équipe, pour ne pas qu’elles s’imposent à eux. Nous faisons tout pour créer un environnement qui évite ce problème.
Vous ne pouvez sûrement pas parler de Halo Infinite, mais quels seront les objectifs de 343 dans le futur, en plus de meilleures conditions de travail ?
Pour les jeux ? Nous avons beaucoup investi dans notre passé, parce que le public aime toujours les anciens Halo. Nous avons mis beaucoup d’efforts dans la Master Chief Collection et modifié la manière dont nous communiquons avec les fans et les joueurs, pour créer un dialogue et entendre leurs demandes. Les fans de nos jours s’attendent à être impliqués différemment. Ils veulent avoir un impact. C’est ce que nous essayons de faire avec la Master Chief Collection et Halo 5. Avec Halo Infinite, nous allons également impliquer les fans pendant le développement pour créer un résultat qui résonne avec eux, et nous prenons le temps d’être flexibles pour créer la meilleure expérience possible.
La Master Chief Collection en particulier a eu un lancement assez rude, mais depuis vous avez travaillé pour l’améliorer et en faire une collection viable. D’où est venu cet engagement ?
Lorsque la MCC a connu ses problèmes au lancement, c’était complètement inattendu pour nous, et il a fallu beaucoup plus de temps que prévu pour réussir à régler les problèmes. Nous avons définitivement trahi les attentes des fans, et l’équipe en était très consciente. C’est un produit complexe qui fait interagir beaucoup de moteurs, mais avec le travail sur Scorpio, l’opportunité s’est présentée de revenir sur l’aspect technique et convertir le jeu pour le nouveau SDK, ce qui a beaucoup aidé pour l’aspect multijoueur. Quand nous avons annoncé cette nouvelle, nous avons voulu emmener les fans avec nous dans ce voyage et ils nous ont aidé à prioriser les problèmes, ce qui manquait, les bugs à résoudre. Le processus continue encore aujourd’hui. Depuis septembre, je crois que nous avons eu 11 mises à jour. [Note de Rob Semsey, chef d’équipes de 343] : Presque 30, en fait.
Maintenant que vous êtes au AIAS Hall of Fame, en revenant sur votre carrière, quels étaient les meilleures expériences, les moment qui sont encore clairs dans votre mémoire ?
Le lancement de la première Xbox. Mon équipe travaillait sur Fusion Frenzy, un des premiers titres Xbox. Le processus avait commencé sur PC, j’ai dû passer cinq ou six ans sur le côté PC avant l’arrivée de la Xbox, et j’ai pu participer à cette transition, même la transition culturelle vers une équipe comprenant les spécificités des jeux console. C’était une chance de pouvoir participer à cette expérience.
Et aussi de pouvoir comprendre nos erreurs, ce que nous n’avons pas fait au mieux pour les développeurs, et que la console était trop grosse. Avec le temps que nous avons passé sur la 360, je suis fière que nous ayons pu en faire une plateforme qui soit efficace pour les développeurs. Faire partie de ce monde et travailler pour un first party [NdT : constructeur de consoles produisant également des jeux] est génial.
Quels ont été les plus grands défis de votre carrière ? Ce ne sont pas nécessairement de mauvais moments, mais des apprentissages ?
Construire 343 a probablement été le plus grand défi que j’ai jamais rencontré. Le résultat était enrichissant, mais le public ne voulait pas que Bungie cesse son travail sur Halo. Débarquer sur le marché, hériter de la licence Halo et construire une équipe avec des gens qui ne se connaissent pas était une tâche difficile, mais le résultat en valait la peine.
L’obtention de la certification pour Halo 4 était un moment magique. L’E3 précédent, nous ne savions pas si le public serait réceptif, mais notre équipe était capable de créer un Halo, c’était notre première récompense et nous avions beaucoup travaillé pour l’avoir.
Dans une carrière, il y a beaucoup d’autres échecs, parfois il faut annuler un jeu. Il y a eu beaucoup d’épreuves, la plupart impliquaient de construire des équipes. L’industrie du jeu vidéo n’est jamais certaine. Tout dépend de ce qui peut être terminé ou non, et tous les jeux ne sortent pas.
Vous pouvez donner un exemple de projets annulés ?
Un jeu Halo annulé est celui développé en partenariat avec Mega Bloks, similaire aux jeux Lego. Nous voulions nous rapprocher de ce que Lego fait, avec des jeux qui plaisent aux adultes mais sont pensés pour une jeune audience. Après notre travail sur l’anthologie animée Halo Legends, nous avons pensé que ce serait une opportunité, et les membres du studio étaient passionnés par ce projet. Nous avons constitué des équipes, donné le nom de code Haggar, et nos avions un petit Major qui courait dans ce monde. Nous avons repoussé l’échéance parce que nous voulions vraiment publier ce jeu, et c’est tout le problème avec les annulations. Annuler est difficile parce que beaucoup de travail a déjà été investi, mais nous avons dû nous y résoudre pour Haggar. Parfois, quelqu’un au studio demande si on pourrait reprendre le projet.
Un autre dont je me souviens et qui date d’il y a longtemps : nous avions trois jeux de plateforme à venir en même temps, Voodoo Vince, Tork et Psychonauts, et j’étais en charge du studio qui travaillait sur Psychonaut avec Tim Schafer. Microsoft devait publier le jeu. Psychonauts est un de mes jeux préférés. Si je devais donner une liste de mes déceptions, je citerais la décision de ne supporter qu’un seul de ces jeux. J’ai personnellement recommandé de soutenir Psychonauts. Mais elle n’a pas été suivie, et c’est probablement mon plus mauvais souvenir. Heureusement, le jeu a pu être publié [NdT : par Majesco Entertainment] et est devenu un classique, mais c’était personnellement difficile pour moi de me séparer du projet. J’admire Tim Schafer, et ne pas pouvoir travailler avec lui a été difficile.
Un mot de la fin à propos de 343 ou de votre carrière ?
Je suis fière des évolutions connues par cette industrie ces cinq dernières années. Nous avons encore beaucoup de travail, mais on voit plus de gens différents, pendant les présentations et sur scène à l’E3. Nous voyons des histoires différentes, de gens avec des perspectives novatrices pour l’industrie. C’est très important pour les nouveaux venus dans l’industrie, pour introduire du changement et créer des expériences plus diverses. Je suis fière du travail accompli, et de celui qui reste à venir, mais je sais qu’il y a un beau futur pour les femmes, et les autres personnes à venir dans l’industrie.
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